Albert Giraud

Albert Giraud

Tuesday, July 7, 2009

Pierrot Lunaire (original French version)

Pierrot Lunaireby Albert Giraud


Theatre

Je rêve un theatre De chambre,

Dont Breughel peindrait les volets,

Shakspear, les féeriques palais,

Et Watteau, les fonds couleur d'ambre.

Par les frileux soirs de décembre,

En chauffant mes doigts violets,

Je rêve un théâtre de chambre.

Émoustillés par le gingembre,

On y verrait les Crispins laids

Ouater leurs décharnés mollets

Pour Colombine qui se cambre.

Je rêve un théâtre de chambre.


Décor

LES grands oiseaux de pourpre et d'or,

Ces voletantes pierreries,

Breughel les pose, en ses féeries,

Sur les arbres bleus du décor.

Ils vibrent, et leur large essor

Jette une ombre au ras des prairies,

Les grands oiseaux de pourpre et d'or,

Ces voletantes pierreries.

Le soleil perce avec effort

De ses jaunes orfèvreries

L'azur vert des b ranches fleuries,

Et Sa lumiêre avive encor

Les grands oiseaux de pourpre et d'or.


Pierrot 'Dandy

D 'un rayon de lune fantasque

Luisent les flacons de cristal

Sur le lavabo de santal

Du pâle dandy bergamasque.

La fontaine rit dans sa vasque

Avec un son clair de métal.

D'un rayon de Lune fantasque

Luisent les flacons de cristal.

Mais le seigneur à blanchc basque,

Laissant le rouge végétal

Et le fard vert oriental

Maquille étrangement son masque

D'un rayon de Lune fantasque.


Déconvenue

Les convives, fourchette au poing,

Ont vu surbtiliser les litres,

Les rôtis, les tourtes, les huitres,

Et les confitures de coing.

Des Gilles, cachés dans un coin,

Tirent des grimaces de pitres.

Les convives, fourchette au poing,

Ont vu subtiliser les litres.

La céleste et douce ouvrière

Nouant sa jupe sur ses hanches,

Sous le baiser frôlant des branches,

Étend son linge de lumière,

Comme une pâle lavandière.


La Sérénade de 'Pierrot

D 'un grotesque archet dissonant

Agaçant sa viole plate,

A la héron, sur une patte,

Il pince un air inconvenant.

Soudain Cassandre, intervenant,

Blâme ce nocturne acrobate,

D'un grotesque archet dissonant

Agaçant sa viole plate.

Pierrot la rejette, et prenant

D'une poigne très délicate

Le vieux par sa roide cravate,

Zèbre le bedon du gênant

D'un grotesque archet dissonant.


Cuisine Lyrique

La Lune, la jaune omelette,

Battue avec de grands oeufs d'or,

Au fond de l'azur noir s'endort,

Et dans les vitres se reflète.

Pierrot, dans sa blanche toilette,

Guigne, su r le toit, près du bord,

La lune, la jaune omelette,

Battue avec de grands oeufs d'or.

Ridé comme une pomme blette,

Le Pierrot agite très fort

Un poêlon, et, d'un brusque ef}ort,

'Croit lancer au ciel qui paillette

La Lune, la jaune omelette.


Arlequinade

Arlequin porte un arc-en-ciel

De rouges et vertes soieries,

Et semble, dans l'or des féeries,

Un serpent artificiel.

Ayant pour but essentiel

Le mensonge et les fourberies,

Arlequin porte un arc-en-ciel

De rouges et vertes soieries.

A Cassandre jaune de fiel

Il dénombre ses seigneuries

En Espagne, et ses armoiries:

Car sur fond d'azur et de miel,

Arlequin porte un arc-en-ciel.


Pierrot Polaire

Un miroitant glaçon polaire,

De froide lumière aiguisé,

Arrête Pierrot épuisé

Qui sent couler bas sa galère.

Il fixe d'un oeil qui s'éclaire

Son sauveteur improvisé:

Un miroitant glaçon polaire,

De froide lumière aiguisé.

Et le mime patibulaire

Croit voir un Pierrot déguisé,

Et d'un blanc geste éternisé

Interpelle dans la nuit claire

Un miroitant glaçon polaire.


A Colombine

Les fleurs pâles du clair de Lune,

Comme des roses de clarté,

Fleurissent dans les nuits d'été:

Si je pouvais en cueillir une!

Pour soulager mon infortune,

Je cherche, le long du Léthé,

I.es fleurs pâles du clair de Lune>

Comme des roses de clarté.

Et j'apaiserai ma rancune,

Si j'obtiens du ciel irrité

La chimérique volupté

D'effeuiller sur ta toison brune

Les fleurs pâles du clair de Lune!


Arlequin

Brilliant comme un spectre solaire,

Voici le très mince Arlequin,

Qui chiffonne le casaquin

De la servante atrabilaire.

Afin d'apaiser sa colère,

il fait miroiter un sequin.

Brillant comme un spectre solaire,

Voici le très mince Arlequin.

La vieille, empochant son salaire,

Livre Colombine au faquin,

Qui sur un grand ciel bleu turquin

Se dessine, et chante lanlaire,

Brillant comme un spectre solaire.


Les Nuages

C OMME de splendides nageoires

De célestes poissons changeants,

Les nuages ont des argents,

Des ors, des nacres, des ivoires.

Ils s'irisent devant les gloires

Mourantes des soleils plongeants,

Comme de splendides nageoires

De célestes poissons changeants.

Mais la Nuit, sur ses barques noires,

Lance des pêcbeurs affligeants

Qui, dans leurs filets émergeants,

Prennent les ondoyantes moires

Comme de splendides nageoires.


A mon cousin de 'Bergame

Nous sommes parents par la Lune,

Le Pierrot Bergamasque et moi,

Car je ressens un pâle émoi,

Quand elle allaite la nuit brune.

Au pied de la rouge tribune,

Il chargeait les gestes du roi:

Nous sommes parents par la Lune,

Le Pierrot Bergamasque et moi.

J'ai les vers luisants pour fortune;

Je vis en tirant,. comme toi,

Ma langue saignante à la Loi,

Et la parole m'importune:

Nous sommes parents par la Lune!


'Pierrot voleur

Les rouges rubis souverains,

Injectés de meurtre et de gloire,

Sommeillent au creux d'une-armoire

Dans l'horreur des longs souterrains.

Pierrot, avec des malandrins,

Veut ravir un jour, après boire,

Les rouges rubis souverains,

Injectés de meurtre et de gloire.

Mais la peur hérisse leurs crins:

Parmi le velours et la moire,

Comme des yeux dans l'ombre noire,

S'enflamment du fond des écrins

Les rouges rubis souverains!


Spleen

PIERROT de Bergame s'ennuie:

Il renonce aux charmes du vol;

Son étrange gaité de fol

Comme un oiseau blanc s'est enfuie.

Le spleen, à l'horizon de suie,

Fermente ainsi qu'un noir alcool.

Pierrot de Bergame s'ennuie:

il renonce aux charmes du yoî.

La Lune sympathique essuie

Ses larmes de lumiêre au vol

Des nuages, et sur le sol

Claque la chanson de la pluie:

Pierrot de Bergame s'ennuie.


Ivresse de Lune

Le vin que l'on boit par les yeux

A flots verts de la Lune coule,

Et submerge comme une houle

Les horizons silencieux.

De doux conseils pernicieux

Dans le philtre yagent en foule:

Le vin que l'on boit par les yeux

A flots verts de la Lune coule.

Le Poète religieux

De l'étrange absinthe se soûle,

Aspirant, - jusqu'à ce qu'il roule,

Le geste fou, la tête aux cieux, -

Le vin que l'on boit par les yeux!


La Chanson de la 'Potence

LA maigre amoureuse au long cou

Sera la dernière maîtresse,

De ce traîne-jambe en détresse,

De ce songe-d'or sans le sou.

Cette pensée est comme un clou

Qu'en sa tête enfonce l'ivresse:

La maigre amoureuse au long cou

Sera sa dernière maîtresse.

Elle est svelte comme un bambou;

Sur sa gorge aanse une tresse,

Et, d'une étranglante caresse,

Le fera jouir comme un fou,

La maigre anioureuse au long cou!


S u i c i d e

En sa robe de Lune blanche,

Pierrot rit son rire sanglant.

Son geste ivre devient troublant:

Il cuve le vin du dimanche.

Sur le sol traînaille sa manche;

Il plante un clou dans le mur blanc:

En sa robe de Lune blanche.

Pierrot rit son rire sanglant.

Il frétille comme une' tanche,

Se passe au col un noeud coulant,

Repousse l'escabeau branlant,

Tire la langue, et se déhanche,

En sa robe de Lune blanche.


Papillons noirs

D E sinistres papillons noirs

Du soleil ont éteint la gloire,

Et l'horizon semble un grimoire

Barbouillé d'encre tous les soirs.

Il sort d'occultes encensoirs

Un parfum troublant la mémoire;

De sinistres papillons noirs

Du soleil ont éteint la gloire.

Des monstres aux gluants suçoirs

Recherchent du sang pour le boire,

Et du ciel, en poussière noire,

Descendent sur nos désespoirs.

De sinistres papillons noirs.


Coucher de soliel

Le Soleil s'est ouvert les veines

Sur un lit de nuages roux:

Son sang, par la bouche des trous,

S'éjacule en rouges fontaines.

Les rameaux convulsifs des chênes

Flagellent les horizons fous:

Le Soleil s'est ouvert les veines

Sur un lit de nuages roux.

Comme, après les hontes romaines

Un débauché plein de dégoûts

Laissant jusqu'aux sales égouts

Saigner ses artères malsaines>

Le Soleil s'est ouvert les veines!


Lune malade

O Lune, nocturne phtisique,

Sur le noir oreiller des cieux,

Ton immense regard fiévreux

M'attire comme une musique!

Tu meurs d'un amour chimérique,

Et d'un désir silencieux,

O Lune, nocturne phtisique,

Sur le noir oreiller des cieux!

Mais 'dans sa volupté physique

L'amant qui passe insoucieux

Prend pour des rayons gracieux

Ton sang blanc et mélancolique,

O Lune, nocturne phtisique!


Absinthe

DANS une immense mer d'absinthe,

Je découvre des pays soûls,

Aux ciels capricieux et fous

Comme un désir de femme enceinte.

La capiteuse vague tinte

Des rythmes verdàtres et doux:

Dans une immense mer d'absinthe,

Je découvre des pays soûls.

Mais soudain ma barque est étreinte

Par des poulpes visqueux et mous:

Au milieu d'un gluant remous

Je disparais, sans une plainte,

Dans une immense mer d'absinthe.


Cendiante de Tétes

Un panier rouge empli de son

Balance dans ta nuin crispée,

Folle Guillotine échappée,

Qui rôdes devant la prison!

Ta voix qui mendie a le son

Du billot qu'entaille l'épée:

Un panier rouge empli de son

Balance dans ta main crispée!

Bourrèle! qui veux pour rançon

Le sang, le meurtre, l'épopée,

Tu tends à la tête coupée

Crachant sa dernière chanson,

Un panier rouge empli de son!


Décollation

La Lune, comme un sabre blanc

Sur un sombre coussin de moire,

Se courbe en la nocturne gloire

D'un ciel fantastique et dolent.

Un long Pierrot déambulant

Fixe avec des gestes de foire

La Lune, comme un sabre blanc

Sur un sombre coussin de moire.

Il flageole, et, s'agenouillant,

Rêve dans l'immensité noire

Que pour la mort expiatoire

Sur son cou s'abat en sifflant

La Lune, comme un sabre blanc.


Rouge et Blanc

E cruelle et rouge langue,

Aux chairs salivantes de sang,

Comme un éclair érubescent

Sillonne son visage exsangue.

Sa face pâle est une gangue

D'où sort ce rubis repoussant:

Une cruelle et rouge langue,

Aux chairs salivantes de sang.

Son corps vertigineux qui tangue

Est comme un blanc vaisseau hissant

A son grand mât éblouissant

Son pavillon couleur de mangue:

Une cruelle et rouge langue!


Valse de Chopin

Comme un crachat sanguinolent,

De la bouche d'une phtisique,

Il tombe de cette musique

Un charme morbide et dolent.

Un son rouge - du rêve blanc

Avive la pâle tunique,

Comme un crachat sanguinolent

De la bouche d'une phtisique.

Le thème doux et violent

De la valse mélancolique

Me laisse une saveur physique,

Un fade arrière-goût troublant,

Comme un crachat sanguinolent.


L'Eglise

Dans l'Église odorante et sombre

-- Comme un rayon de Lune entré

Par le vitrail décoloré, -

Pierrot éclaire la pénombre.

Il marche vers le choeur qui sombre.

Avec un regard d'inspiré,

Dans l'Église odorante et sombre

Comme un rayon de Lune entré.

Et soudain les cierges sans nombre,

Déchirant le soir expiré,

Saignent sur l'autel illustré,

Comme les blessures de l'Ombre,

Dans l'Église odorante et sombre.


Évocation

Madone des Hystéries I

Monte sur l'autel de mes vers,

La fureur du glaive à travers

Tes maigres mamelles taries.

Tes blessures endolories

Semblent de rouges yeux ouverts:

O Madone des Hystéries!

Monte sur l'autel de mes vers.

De tes longues mains appauvries,

Tends à l'incrédule univers

Ton Fils aux membres déjà verts,

Aux chairs tombantes et pourries,

O Madone des Hystéries!


Messe rouge

Pour la cruelle Eucharistie,

Sous l'éclair des ors aveuglants

Et des cierges aux feux troublants,

Pierrot sort de la sacristie.

Sa main, de la Grâce investie,

Déchire ses ornements blancs,

Pour la cruelle Eucharistie,

Sous l'éclair des ors aveuglants,

Et d'un grand geste d'amnistie

Il montre aux fidèles tremblants

Son coeur entre ses doigts sanglants,

-- Comme une horrible et rouge hostie

Pour la cruelle Eucharistie.


Les Croix

Les beaux vers sont dc larges croix

Où saignent les rouges Poètes,

Aveuglés par les gypaètes

Qui volent comme des effrois.

Aux glaives les cadavres froids

Ont offert d'écarlates fêtes

Les beaux vers sont dc larges croix

Où saignent les rouges Poètes.

Ils ont trépassé, cheveux droits,

Loin de la foule aux clameurs bêtes,

Les soleils couchants sur leurs têtes

Comme des couronnes dc rois!

Les beaux vers sont de larges croix!


Supplique

Pierrot! Le ressort du rire,

Entre mes dents je l'ai cassé:

Le clair décor s'est effacé

Dans un mirage à la Shakspeare.

Au mât de mon triste navire

Un pavillon noir est hissé:

O Pierrot! Le ressort du rire,

Entre mes dents je l'ai cassé.

Quand me rendras-tu, porte-lyre,

Guérisseur de l'esprit blessé,

Neige adorable du passé,

Face de Lune, blanc messire,

O Pierrot! le ressort du rire?


Violon de Lune

L' ame du violon tremblant,

Plein de silence et d'harmonie,

Rêve dans sa boîte vernie

IUn rêve languide et troublant.

Qui donc fera d'un bras dolent

IVibrer dans la nuit infinie

L'âme du violon tremblant,

Plein de silence et d'harmonie ?

La Lune, d'un rais mince et lent,

Avec des douceurs d'agonie.

Caresse de son ironie,

Comme un lumineux archet blanc,

L'âme du violon tremblant.


Les Cigoguies

Les cigognes mélancoliques,

Blanchâtres sur l'horizon noir,

Pour scander les rythmes du soir,

Font claquer leurs becs faméliques.

Elles ont vu les feux obliques

D'un grand soleil de désespoir,

Les cigognes mélancoliques,

Blanchâtres sur l'horizon noir.

Une mare aux yeux métalliques

Renverse, en son vague miroir,

-- Où du jour qui vient de déchoir

Luisent les ultimes reliques,

Les cigognes mélancoliques.


Nostalgie

Comme un doux soupir de cristal,

L'âme des vieilles comédies

Se plaint des allures raidies

Du lent Pierrot sentimental.

Dans son triste désert mental

Résonne en notes assourdies,

Comme un doux soupir de cristal,

L'âme des vieilles comédies.

Il désapprend son air fatal:

A travers les blancs incendies

Des lunes dans l'onde agrandies,

Son regret vole au ciel natal,

Comme un doux soupir de cristal.


Parfums de 'Bergame

O vieux parfum vaporisé

Dont mes narines sont arisées!

Les douces et folles risées

Tournent dans l'air subtilisé.

Désir enfin réalisé

Des choses longtemps méprisées:

O vieux parfum vaporisé

Dont mes narines sônt grisées!

Le charme du spleen est brisé:

Par mes fenêtres irisées

Je revois les bleus Elysées

Où Watreau s'est éternisé..

- O vieux parfum vaporisé!


Départ de Pierrot

Un rayon de Lune est la rame,

Un blanc nénuphar, la chaloupe;

Il regagne, la brise en poupe,

Sur un fleuve pâle, Bergame.

Le flot chante une humidc ganrnre

Sous la nacelle qui le coupe.

Un rayon de Lune est la rame,

Un blanc nénuphar, la chaloupe.

Le neigeux roi du mimodrar-ne

Redresse fièrement sa houppe:

Comme du punch dans une coupe,

Le vague horizon vert s'enflamme

- Un rayon de Lune est la rame.


Pantomime

Absurde et doux comme un mensonge

Le bleu décor italien

Aux mimes du drame ancien

S'ouvre avec le vague d'un songe.

Dans les lointains vaporeux plonge,

Coiffé de tulle aérien,

Absurde et doux comme un mensonge,

Le bleu décor aérien.

Pierrot assomme à coups de longe

Cassandre académicien,

Et le rouge magicien

Sur le fond du tableau s'allonge,

Absurde et doux comme un mensonge.


Brosseur de Lune

Un très pâle rayon de Lune

Sur le dos de son habit noir,

Pierrou-\Villezue sort le soir

Pour aller en bonne fortune.

Mais sa toilette l'inportune:

Il s'inspecte, et finit par voir

Un très pâle rayon de Lune

Sur le dos de son habit noir.

Il s'imagine que c'est une

Tache de plâtre, et sans espoir,

Jusqu'au marin, sur le trottoir,

Frotte, le coeur gros de rancune,

Un très pâle rayon de Lune!


L'Alphabet

Un alphabet bariolé,

Dont chaque lettre était un masque,

Fut l'abécédaire fantasque

Qu'en mon enfance j'épelai.

Très longtemps je me rappelai,

Mieux que mes sabres et mon casque,

Un alphabet bariolé

Dont chaque lettre était un masque.

Aujourd'hui, mon coeur enjôlé,

Vibrant comme un tambour de basque,

Rêve un Arlequin bergamasque,

Traçant d'un corps arc-en-ciellé

Un alphabet bariolé.


Blancheurs sacrées

Blancheurs de la Neige et des Cygnes,

Blancheurs de la Lune et du Lys,

Vous étiez, aux temps abolis,

De Pierrot les pâles insignes!

Il vous dédiait de beaux signes

Dans la féerie ensevelis,

Blancheurs de la Neige et des Cygnes,

Blancheurs de la Lune et du Lys!

Le mépris des choses indignes,

Le dégoût des coeurs amollis

Sont les préceptes que je lis

Dans le triomphe de vos lignes,

Blancheurs de la Neige et des Cygnes'


'Poussière rose

Une fine poussière rose

Danse à l'horizon du matin.

Un très doux orchestre lointain

Susurre un air dc Cimarose.

Phoebé, comme une blanche rose,

Se meurt dans le ciel incertain.

Une fine poussière rose

Danse à l'horizon du matin.

Devant un Cassandre morose,

Fuit un faîbala de satin

Qui traverse - en frôlant le thym

Qu'une fraîche rosée arrose -

Une fine poussière rose.


'Parodie

Des aiguilles à tricoter

Dans sa vieille perruque grise,

La duègne, en casaquin cerise,

Ne se lasse de marmotîer.

Sous la treille elle vient guetter

Pierrot dont sa chair est éprise,

Des aiguilles à tricoter

Dans sa vieille perruque grise.

Soudain elle entend éclater

Les sifflets pointus de la brise:

La Lune rit de la méprise,

Et ses rais semblent imiter

Des aiguilles à tricoter.


Lune 'moque-use

La Lune dessine une corne

Dans la transparence du bleu.

A Cassandre on a fait ce jeu

De lui dérober son tricorne.

Le vieillard se promène morne,

Ramenant son dernier cheveu;

La Lune dessine une corne

Dans la transparence du bleu.

Une fantastique licorne,

Dont les naseaux lancent du feu,

Soudain mouille de son émeu

Cassandre assis sur une borne.

La Lune dessine une corne.


La Lanterne

La claire et joyeuse lanterne,

Où vibre une langue de feu,

Pierrot la porte au bout d'un pieu

Pour ne pas choir dans la citerne.

A tout coin de rue il lanterne

Et sur le sol dépose un peu

La claire et joyeuse lanterne

Où vibre une langue de feu.

Il ne la voit plus, - se prosterne,

Allume le petit point bleu

De son allumette, et, par jeu,

Cherche d'un geste qui constern-

La claire et joyeuse lanterne.


Pierrot cruel

Dans le chef poli de Cassandre.

Dont les cris percent le tympan,

Pierrot enfonce le trépan,

D'un air hypocritement tendre.

Le Maryland qu'il vient de prendre,

Sa main sournoise le répand

Dans le chef poli Je Cassandre

Dont les cris pcrcent le tympan.

Il fixe un bout de palissandre

Au crâne, et le blanc sacripant,

A très rouges lèvres pompant,

Fume - en chassant du doigt la cendre

Dans le chef poli de Cassandre!


D é c o r

Le Soleil, comme un grand oeuf rose,

Enlumine l'horizon gris,

Et des troncs d'arbres rabougris

Raturent le couchant morose.

Dans la lente métamorphose

Des longs paysages aigris,

Le Soleil. comme un grand oeuf rose,

Enlumine l'horizon gris.

Uné triste lumière arrose

Brusquement les cieux assombris:

Des oiseaux noirs, à larges cris,

Brisent du bec, dans la nuit close,

Le Soleil, comme un grand oeuf rose.


Le Miroir

D'un croissant de Lune hilarante

S'échancre le ciel bleu du soir,

Et par le balcon du boudoir

Pénètre la lumière errante.

En face, dans la paix vibrante

Du limpide et profond miroir,

D'un croissant de Lune hilarante

S'échancre le ciel bleu du soir.

Pierrot, de façon conquérante

Se mire - et soudain dans le noir

Rit en silence de se voir

Coiffé par sa blanche parente

D'un croissant de Lune hilarante!


Souper sur l'Eau

En d'alanguissantes yoles

Au pavillon de bleu turquin,

Pierrot, Colombine, Arlequin

Font saigner les rouges fioles.

Les fèmmes ont de lucioles

Diamanté leur casaquin,

En d'alanguissantes yoles

Au pavillon de bleu turquin.

Enrichissant ces fanfioles

La Lune luit comme un sequin,

Et sous un rose baldaquin

Madrigalisent les violes,

En d'alanguissantes yoles.


L'Escalier

Sur le marbre de l'escalier,

Un léger froufrou de lumiêre

Turbule en bleuâtre poussière,

Au tournant de chaque palier.

La Lune, d'un pas familier,

Fait, dans sa ronde coutumière,

Sur le marbre de l'escalier,

Un léger froufrou de lumière.

Et Pierrot, pour s'humilier

Devant sa pâle Emperière,

Prosterne la blanche prière

De son grand corps en espalier

Sur le marbre de l'escalier.


Cristal de Bohême

Un rayon de Lune enfermé

Dans un beau flacon de Bohême,

Tel est le féerique poème

Que dans ces rondels j' ai rrme.

Je Suis en Pierrot costumé,

Pour offrir à celle que j'aime

Un rayon de Lune enfermé

Dans un beau flacon de Bohême.

Par ce symbole est exprimé.

O ma très chère, tout moi-même

Comme Pierrot, dans son chef blême

Je sens, sous mon masque grimé,

Un rayon de Lune enfermé.



Pierrot Lunaire

1. Théatre

2. Décor

3. Pierrot Dandy

4. Déconvenue

5. Lune au lavoir

6. La sérénade de Pierrot

7. Cuisine lyrique

8. Arlequinade

9. Pierrot polaire

10. A Colombine

11. Arlequin

12. Les Nuages

13. A mon cousin de Bergame

14. Pierrot voleur

15. Spleen

16. Ivresse de lune

17. La Chanson de la Porcnce

18. Suicide

19. Papillons noirs .

20. Coucher de soleil

21. Lune malade

22. Absinthe

23. Mendiante de têtes.

24. Décollation

25. Rouge er blanc.

26. Valse de Chopin

27. L'Église

28. Evocation

29. Messe rouge

30. Les croix

31. Supplique

32. Violon de lune.

33. Les cigognes

34. Nostalgie

35. Parfums de Bergamc

36. Départ de Pierrot

37. Pantomime

38. Brosseur du lune

39. L'Alphabet

40. Blancheurs sacrées

41. Poussiére rose

42. Parodie

43. Lune muqueuse.

44. La Lanterne.

45. Pierrot cruel.

46. Décor

47. Le miroir. .

48. Souper sur l'eau .

49. L'Escalier

50. Cristal de Bohème

3 comments:

  1. yr raw Eng trans of Pierrot Lunaire is the best ah've ever seen - delighted signed Jimitheos at deviantART we luvved it

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  2. First of all I want to thank you very much to make these splendid poems accessible on the internet, as I was looking for them for so many years.
    But there are a lot of mistakes in your writing of the french, if you desire I could send you a correct version of the poems.

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